SALONS

octobre 23, 2014

FIAC 2014

web

Grand Palais, Paris
Du 23 au 26 octobre 2014

Can’t take my eyes off of you

L’idée de cette nouvelle exposition pour la Galerie Le Minotaure, dans le cadre de l’édition 2014 de la FIAC, est simplement liée au plaisir de faire cohabiter des œuvres que ni l’histoire de l’art ni l’histoire du goût n’ont l’habitude de voir voisiner. Carl Andre et František Kupka, Jean Pougny et Bernd et Hilla Becher, Loretta Lux, Alexandra Exter et Hans Bellmer …

Cette exposition tire son origine de l’apologue raconté par Jacques Lacan dans son Séminaire XI. Alors que le psychanalyste se trouvait à bord d’un bateau de pêche breton, il fut surpris de la remarque d’un marin qui s’exclama devant une boîte de sardines qui voguait sur la mer : « Tu vois, cette boîte ? Tu la vois ? Eh bien, elle, elle te voit pas ! » Lacan tire de cette anecdote l’idée que « si la boîte ne me voit pas, c’est parce que, en un certain sens, elle me regarde ».

Et si les œuvres étaient comme ces boîtes de sardines, vouées désormais à otter dans un monde sans référence, sans histoire. Nous les voyons, nous les admirons, mais elles, elles ne nous voient pas, précisément parce qu’elles nous regardent. Cette scission, cette schize, entre la vision (l’œil) et le regard est au cœur de la situation humaine, c’est selon Jacques-Alain Miller « le secret du champ visuel ». Le regard chez Lacan c’est le Réel, la vision c’est l’Imaginaire. Nous ne voyons que d’un point, mais nous sommes regardés de partout…

Toutes les œuvres présentées ici nous regardent donc, à différents égards, même si nous ne les voyons pas comme reliées les unes avec les autres. Qu’est ce qui peut bien relier la Femme phallique de Brassaï et le East Deck de Carl Andre ? Rien formellement ! Et pourtant, il est possible, au-delà de la forme d’effectuer quelques connexions. En 1966, à l’occasion de l’exposition Primary Structures, organisée par le Jewish Museum, Carl Andre réalise une œuvre constituée de 137 briques réfractaires posées directement sur le sol. L’artiste déclara alors : « Je ne fais que poser la Colonne sans n de Brancusi à même le sol au lieu de la dresser vers le ciel. La plupart de la sculpture est priapique, l’organe masculin en l’air. Dans ma pièce, Priape est à terre. »

Faire cohabiter She and Me de Pascale Marthine Tayou avec les plaques d’acier de Carl Andre c’est mettre en exergue cet écart qui traverse toujours la sculpture contemporaine. En dépit de son caractère géométrique, qui le rapproche des compositions de Moholy-Nagy, le Red Triangle de Nicky de Saint Phalle possède lui aussi une dimension éminemment sexuelle (dimension que l’on retrouve dans le projet de couverture – pour la revue LVII – de Max Ernst).

Bien sûr, il existe dans cette exposition des clins d’œil de nature plus formelle. La Femme aux lunettes d’Alexandra Exter et la Nature morte à la palette de Charchoune jouent sur un camaïeu assez proche de noir et de blanc. Les rayons de la BNF photographiés par Candida Höfer sont dans la lignée conceptuelle desarchitectures industrielles de Bernd et Hilla Becher.

Quel plaisir de pouvoir faire cohabiter le Green Gun de Basquiat avec un dessin/collage de Chillida : une même économie de moyens préside à ces deux œuvres que tout sépare (l’époque, le style, les intentions). C’est le privilège d’une exposition comme celle-ci que de confronter des œuvres que l’histoire de l’art a coutume de séparer voire d’opposer. Le plaisir des yeux et des rencontres préside ici au choix et à l’accrochage. Mettre en regard La Ville de Survage avec Le Voyage en chemin de fer d’Henry Valensi (le fondateur du musicalisme) et les gouaches abstraites de Kupka, c’est provoquer un court-circuit, créer une situation visuelle inédite. «Jamaistunemeregardeslàd’oùjetevois»:ceque Lacan dit de l’altérité et de l’amour peut se dire aussi de l’expérience artistique. Il y a toujours un écart entre les intentions mises dans une œuvre par celui qui l’a produite et le regard porté sur elle par le spectateur. L’œuvre est orpheline ; détachée des intentions de l’artiste, elle est vouée à errer, telle la boîte de sardines de Lacan, dans un océan de subjectivité.

Bernard Marcadé

Artistes exposés :
Survage, Léopold, Messager, Annette, De Saint Phalle, Niki
Calder, Alexander, Delaunay, Sonia, Kupka, FrantišekBasquiat, Jean-Michel

Avec Bernard Marcadé et Mathieu Mercier

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Visite virtuelle du stand

Quelques photos du stand :

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