L’exposition Artistes hongrois après-guerre à Paris à la Galerie Minotaure explore cinq décennies de création picturale, sculpturale et cinétique abstraite dans la capitale française, réunissant des œuvres réalisées entre 1947, peu après la fin de la seconde guerre mondiale, et 1998.
La sélection des artistes présentés, Etienne Beöthy (1897-1961), Etienne Hajdu (1907-1996), Simon Hantaï (1922-2008), Paul Kallos (1928-2001), Judit Reigl (1923-), Alfréd Réth (1884-1966), Endre Rozsda (1913-1999), Árpád Szenes (1897-1985), Nicolas Schöffer (1912-1992) et Victor Vasarely (1906-1997) dévoile un panorama non exhaustif des multiples orientations existantes au sein même de l’abstraction, dans lequel s’intersectent l’héritage de la grande tradition hongroise du constructivisme, l’esprit de l’Ecole Européenne (1945-1948) – ce groupe d’artistes hongrois dont le but était de revivifier l’art hongrois après la seconde guerre mondiale et qui promouvait la diversité de la scène artistique face à l’appauvrissement sémantique total que représentait l’idéologie esthétique du réalisme socialiste en permettant la coexistence de la figuration et de l’abstraction – d’une part, et l’influence de la calligraphie extrême-orientale, du tachisme, de l’informel et de l’abstraction lyrique française d’autre part.
La majorité de ces artistes ont émigré à Paris entre 1925 et 1956, soit dans la période tourmentée de l’histoire européenne se déclinant depuis l’entre-deux guerres jusqu’à l’écrasement de la révolution hongroise de 1956 par l’armée soviétique. Au moment où, dans leur pays d’origine, être un artiste abstrait constituait une attitude éthique d’opposition face à la dictature communiste instrumentalisant l’art figuratif à des fins idéologiques et de propagande, la continuation et le développement de la tradition hongroise abstraite ainsi que sa reconnexion dans le flux artistique international s’imposa à eux comme une évidence.
Les œuvres D’Etienne Beöthy (Composition, 1947) et Alfréd Réth (Composition, 1947 et Composition, 1952) qui inaugurent ces cinquante ans de création abstraites reflètent de manière évidente l’orientation constructiviste des deux artistes au sein du groupe international Abstraction-Création (1931-1936) et témoignent de la continuité de cette activité picturale après la seconde guerre mondiale dans le fameux Salon des Réalités Nouvelles, bastion de l’abstraction.
La génération plus jeune que représente le groupe Hantai-Reigl-Rozsda plonge ses racines dans le surréalisme et transpose en peinture les concepts d’écriture automatique et de hasard objectif chers à André Breton. Les compositions d’après musique de Judit Reigl, les Reflets d’Endre Rozsda et l’oeuvre intitulée Post Mariale de Simon Hantai dévoilent ce même dénominateur commun et son écho ultérieur, bien que Hantai lui-même s’éloigne rapidement de Breton et s’oriente plus tard vers le répertoire formel du mouvement Supports / Surfaces, comme en témoigne sa toile intitulée Tabula datant de 1980.
Le corpus d’œuvres que composent les sculptures intitulées Femme drapée et Plainte d’Etienne Beöthy, les huiles de Paul Kallos et les gouaches de petit format d’Árpád Szenes datant des années cinquante ainsi que la délicate encre de Chine sur papier d’Etienne Hajdu rendent comptent de la richesse de cette mouvance abstraite dans laquelle l’interpénétration des motifs naturels originaux et du processus mental de leur abstraction – qu’elle soit de caractère calligraphique, bioromantique ou lyrique – se révèle dans leur parfaite symbiose.
Et comme un pendant rationnel, cinétique et d’une rigueur mathématique complémentaire à ce volet lyrique et émotif, l’ensemble des compositions spatiales, reliefs spatiodynamiques et gouaches géométriques de Nicolas Schöffer ainsi que la toile Op-art de Victor Vasarely vient provoquer l’œil du spectateur, questionner ses repères formels, spatiaux, et enrichir, élargir encore le spectre et la sphère de l’imaginaire visuel abstrait hongrois, français et européen.