Pour la rentrée 2017, deux galeries parisiennes Le Minotaure et Alain Le Gaillard – dont le binôme a déjà maintes fois démontré à quel point une telle collaboration peut être fructueuse – préparent l’exposition autour du peintre bulgare de l’Ecole de Paris, Julius Mordechaï Pincas, dit Pascin (1885 – 1930).
Les expositions et les catalogues historiques lui ont attribué plusieurs surnoms : Prince des trois Monts (Montparnasse, Montmartre, Mont de Venus), anarchiste déguisé en dandy, Watteau du bordel, Américain du Danube, fils prodigue, Pascin libertin, insoumis, incompris, suicidé de la société et ressuscité…
Les deux galeries s’engagent à leur tour dans le chemin du regard. Ainsi, à travers les concepts issus tant de l’histoire de l’art que de la sociologie, elles proposent de se concentrer sur la manière de voir de Pascin, de décortiquer son point de vue, sa perspective – de reconstruire son œil, considéré comme un organe socialement construit. On cherchera à répondre à la question comment il regardait le monde et la société qui l’entouraient, mais aussi pourquoi il les voyait comme ça et pas autrement. Et les éléments de sa biographie romanesque (révolte contre l’autorité du père, enfance passé dans une maison close, ses voyages autour du monde, sa vie de bohème au cœur du Paris de la belle époque, ses deux amours – complémentaires et ne faisant qu’un – pour sa femme Hermine David et sa maîtresse Lucy Krogh, son suicide…) ne seront qu’une partie de la réponse.
L’exposition proposera quatre entrées, organisées autour de quatre types du regard que Pascin portait sur le monde : le regard sociologique, le regard amoureux, le regard allégorique et le regard étranger.
L’ŒIL SOCIOLOGIQUE
Sur les traces de Lautrec, de Goya, de Daumier, de Guys, mais aussi de Vermeer, Caravage ou Degas, Pascin engage son « œil sociologique » pour étudier, comme dans un laboratoire, le monde qui l’entoure et ses mœurs. Dès tout petit, il est particulièrement attiré par le « bas » – les lieux de perdition et les milieux défavorisés dont il révèle le tragique et la désillusion qu’il a si bien compris. Sa critique – dont l’arme est la caricature et la satire – vise en premier lieu la classe bourgeoise et ses vices qu’il dénonce sans pitié sur les pages de la fameuse revue allemande Simplicissimus. Mais à côté, il dessine aussi bien les scènes de sa propre vie artistique et mondaine : les intérieurs des guinguettes et des cabarets, les pique-niques habituels au bord de la Marne, ses amis, ses modèles…
L’ŒIL AMOUREUX
On remarque assez rapidement que le sujet privilégié de Pascin est le nu, la femme. Pascin « aima l’amour qui le lui rendit généreusement ». Nous en avons le témoignage dans de nombreux dessins et toiles de l’artiste qui semblent approuver le postulat annoncé à la même époque par Sigmund Freud que le désir est indestructible – il est le spiritus movens de Pascin. Ainsi que sa propre vie sentimentale, son regard est loin d’être conventionnel. Il est double : à la fois malin, débridé ou libertin, mais aussi tendre, sensuel et compréhensif…
L’ŒIL ALLEGORIQUE
Pascin est un enfant de son époque, certes, mais de l’autre côté sa culture est conséquemment classique – il possède une profonde connaissance de l’Antiquité et de la Bible, c’est un grand lecteur de Platon, Giordano Bruno, Rousseau, Saint-Simon, il cite par cœur Virgile, Horace et Ovide… C’est à travers des allégories (notamment celle de L’Enfant prodigue, de Lazare et du mauvais riche) et des mythes qu’il interprète son existence et essaie d’atteindre une dimension universelle de son œuvre. Il n’est pas anodin que le dernier message qu’il laisse à la postérité est la toile Socrate et ses disciples conspués par les courtisanes…
Il s’appelait lui-même, et fut appelé par ses amis critiques – André Warnod et Paul Morand – un Juif errant.
L’ŒIL ETRANGER
Née en 1885 en Bulgarie dans une riche famille juive sépharade qui s’installe peu après à Bucarest, très jeune il fuit sa maison pour devenir un citoyen du monde. Il fait ses études à Budapest, Vienne, Munich et Berlin, en 1905 s’installe à Paris. Fuyant la guerre et l’engagement, il part pour Londres pour finir à bord d’un bateau à destination de New York. En 1920 il deviendra citoyen américain, mais la même année retourne en France. Pendant toute sa vie, il voyage à travers l’Europe, l’Amérique (séjour marquant à Cuba en 1915) et l’Afrique du Nord. Quand il est à Paris, il préfère la rue à l’atelier : il flâne. Il n’est attaché à aucun pays, aucune race, aucune religion, aucune école. Dans une de ces lettres il écrit : « Partout, je suis l ‘étranger qu’on tolère à peine ».
L’exposition constituée d’une quarantaine de pièces – huiles, encres, gouaches, dessins – couvrant toutes les périodes de l’œuvre de Jules Pascin, ainsi que le catalogue qui l’accompagnera, développeront ces quatre thématiques.
Notre exposition dans « l’Agenda d’Elisabeth Quin » dans Figaro Madame
Exposition Pascin dans « L’Oeil du collectionneur »