En mars 2018, la Galerie Le Minotaure et la Galerie Alain Le Gaillard – assistées par Krisztina Passuth, la doyenne de l’histoire de l’art moderne hongroise et spécialiste des avant-gardes – se réunissent dans le cadre de l’exposition majeure de la saison pour attirer l’attention du public sur un épisode particulier de l’histoire des avant-gardes européennes des premières décennies du XXème siècle, à savoir le phénomène des artistes hongrois exposant à la galerie berlinoise Der Sturm dans les années 1913-1932. A ce moment, le champ artistique international subit des transformations touchant à la fois sa structure et son fonctionnement. Jusqu’alors centralisé et concentré sur l’activité artistique parisienne, il s’ouvre vers international. Les nouvelles génération d’artistes sont de plus en plus attirées par les nouveaux centres artistiques émergeant en Allemagne, en Europe Centrale et de l’Est ou plus loin encore, en Russie soviétique. Elles se détournent des recherches purement formelles au profit de l’engagement socio-politique que la capitale parisienne regarde avec une plus grande réserve. Les collaborations de créateurs actifs dans des domaines différents deviennent une caractéristique des manifestations avant-gardistes : désormais les expositions sont souvent accompagnées de conférences et d’événements culturels intégrant la littérature
et la musique contemporaines. Un des « noeuds » où ces nouvelles tendances et les esprits novateurs se rencontrent devient la revue et la galerie allemande Der Sturm (La Tempête) tenues par Herwarth Walden un personnage polyphone – musicien, compositeur, écrivain, critique, éditeur et galeriste – qui incarnait l’interdisciplinarité des avant-gardes de son temps. Publications et expositions sous l’enseigne du Sturm deviennent très rapidement l’étape obligée pour les artistes en recherche de reconnaissance.
L’histoire de la galerie Der Sturm qui commence en 1912 (la revue apparaît en 1910) et se termine en 1932, nous permet d’étudier également les évolutions esthétiques observables dans les arts plastiques du début du siècle. Pour marquer sa place dans le champ artistique international, Walden commence par exposer les expressionnistes – comme Kokoschka – et les membres du groupe Blaue Reiter pour ensuite pouvoir orienter le profil de sa galerie vers les nouveaux prétendants à ce titre : les futuristes et à partir du début des années 1920, les constructivistes. Ne pouvant pas toujours accéder aux grands maîtres du rang de Picasso ou d’El Lissitzky, il est obligé de rechercher des « remplaçants », pas forcément connus, mais ayant une approche esthétique et intellectuelle similaires, ce qui lui vaut le titre de « découvreur des talents ». Les affinités électives veulent que ces grands « remplaçants » soit en majorité des artistes hongrois : Walden s’intéressait à leur travail dès l’ouverture de sa galerie et vice versa, il était connu par les Hongrois car la revue et les expositions du Sturm ainsi que Walden lui-même voyageaient dans leur pays. Au fil des années leurs relations deviennent de
plus en plus fréquentes, et nous pourrions même dire, indispensables pour les deux côtés.
Le premier Hongrois, exposant à la Galerie Der Sturm en 1913, est le cubiste Alfred Réth prenant la place vide laissée pour Picasso qui avait refusé d’exposer à la galerie du Potsdamer Strasse. Pendant la Première Guerre mondiale, beaucoup d’artistes appréciés par Walden, notamment ceux du cercle du Blaue Reiter, doivent quitter l’Allemagne ou bien disparaissent sur le front. Le galeriste berlinois découvre alors – par l’intermédiaire de Lajos Kassák, rédacteur de la revue MA – l’oeuvre de János Mattis Teutsch, Béla Kádár et Hugó Scheiber qu’il inscrit dans la lignée des artistes tels que Vassily Kandinsky, Franz Marc, Georg Schrimpf ou Heinrich Campendonk. Tous les trois seront liés à la galerie jusqu’à la fin des années 1920. Grâce à Walden, leurs carrières deviendront vraiment internationales et leur renom ira bien au-delà de l’Allemagne : en 1926, Kádár sera remarqué par la collectionneuse américaine Katherine Dreier (Société Anonyme) qui l’invitera à exposer au Brooklyn Museum de New York ; évènement qui se prolongera par une série d’expositions voyageant à travers les États-Unis.
Néanmoins, après la guerre le mouvement expressionniste commence à se retirer de la scène d’avant-garde et s’institutionnalise. Même s’il restera jusqu’à la fin une marque de Der Sturm, Walden – toujours en quête de nouveautés – s’intéresse de plus en plus au constructivisme importé de Russie qui bouleverse la vision européenne de l’art moderne et révolutionnaire, visant plutôt l’industrie que le marché de l’art. Berlin devient alors non seulement un foyer pour les Russes, mais aussi pour les autres nationalités venant de l’Europe de l’Est, entre autres les Hongrois qui pendant la guerre et suite à la chute de la République des Conseils migrent vers d’autres pays. Walden pense à eux car dans cette Allemagne du début des années 1920, ce sont justement les Hongrois qui incarnent le mieux l’esprit et la connaissance des mouvements suprématistes et constructivistes. Ainsi, parmi les noms phares de la galerie Der Sturm se retrouveront, entre autres : Lajos Kassák, Sándor Bortnyik, et notamment László Moholy-Nagy et László Péri que Walden considérera comme les porte-paroles du constructivisme d’esprit soviétique.
Toutefois, à partir de la deuxième moitié des années 1920, Der Sturm, aussi bien comme galerie que comme revue ou maison d’édition, perd progressivement sa vigueur initiale. Les raisons en sont multiples tout autant liées au fonctionnement interne du Sturm, qu’à l’évolution du champ artistique international et au changement de la situation politique en Europe. En 1932, toujours autant fasciné par la Russie, Walden s’installe en Union Soviétique dont la politique devient pourtant de plus en plus hostile vis-à-vis des Allemands (surtout des Juifs). En 1941, le galeriste est envoyé dans un camp de travail près de Saratov où il meurt de faim.
Malgré cette fin brutale, la tempête que déclencha à son époque Der Sturm dans le champ artistique international marqua à jamais l’histoire de l’art européen. Dès lors son activité focalisera et accompagnera les évolutions de l’art moderne de la première moitié du XXème siècle dont, aujourd’hui encore, nombre de galeries et de musées se font les passeurs pour un public toujours autant fasciné par cet avant-garde venu de l’Est.
A partir du 15 mars 2018, à la Galerie Le Minotaure et Alain Le Gaillard, nous pourrons donc plonger dans l’univers de la galerie Der Sturm et admirer environ quatre-vingt pièces exceptionnelles des artistes tels que : Alfred Réth, János Mattis Teutsch, Béla Kádár, Hugó Scheiber, Lajos Kassák, Sándor Bortnyik, Lajos Ébneth, László Moholy-Nagy et László Péri. L’exposition sera accompagnée d’un important catalogue bilingue (en français et en anglais), contenant deux articles scientifiques inédits (par Krisztina Passuth et Maria Tyl) et riche en reproductions et images d’archives.
ARTICLES DE PRESSE
L’Oeil – Mai 2018
« Modernités de l’Est », Connaissance des arts, avril 2018
« L’aventure berlinoise de l’avant-garde hongroise », Journal des Arts, 12 mars-30 avril 2018
« Une utopie Européenne », Politis, 19 Avril 2018
https://www.prae.hu/news/32950-magyar-avantgard-festok-kepei-parizsban/
https://librarius.hu/2018/03/13/parizsi-kiallitason-unneplik-a-magyar-avantgard-kepzomuveszetet/
http://nepszava.hu/cikk/1155193-magyarok-parizsban
http://www.origo.hu/kultura/20180314-magyar-muveszek-alkotasait-allitjak-ki-parizsban.html
http://www.hirolvaso.com/parizsi-kiallitason-unneplik-a-magyar-avantgard-kepzomuveszetet/
http://www.hirolvaso.com/a-magyar-avantgardbol-nyilik-kiallitas-parizsban/