Pour la rentré 2018 et à l’occasion du Parcours des mondes, les galeries Le Minotaure et Alain Le Gaillard préparent l’exposition consacrée à Serge Charchoune. Benoît Sapiro proposera cette fois-ci de se focaliser sur une partie de l’œuvre de l’artiste jusqu’alors peu – ou pas – explorée par les expositions précédentes (tant individuelles que collectives), à savoir la peinture monochrome. Car, côté de Kazimir Malévitch, Charchoune fut un des pionniers du genre.
Le monochrome entre dans l’histoire de l’art moderne en 1915 avec le Carré noir (suivi en 1918 par Carré blanc sur fond blanc) de Malévitch qui constitue en quelque sorte la pierre angulaire du genre. Depuis, plusieurs expositions et publications scientifiques y furent consacrées. Paradoxalement, l’œuvre de Serge Charchoune, un des pionniers comme nous l’avons dit, en est régulièrement absente, de même qu’on mentionne rarement son nom en parlant des origines de l’art abstrait, de l’aventure dada, et ainsi de suite. Peu sont ceux qui reconnaissent l’impact du peintre sur le développement de la peinture au XXème siècle. A l’époque, les œuvres de Charchoune étaient appréciées en premier lieu par ses pairs : peintres, poètes, architectes et un cercle très restreint des collectionneurs.
« Charchoune, vous avez de la noblesse, et cela devrait suffire pour attirer l’attention des connaisseurs sur ces œuvres cristallines ou chaudes, discrètes, mélodiques et intelligentes. On n’atteint là que pourvu du double don conjugué avec la parcimonie et dispensée par le Dieu des Arts : la force et la finesse. Vous avez de la veine, Charchoune. Je souhaite aux amateurs d’avoir celle de m’entendre à temps. » Ces paroles d’Amedée Ozenfat provenant de la préface qu’il écrivit pour l’exposions du peintre russe en 1927 seraient-elles restées lettre morte ? L’exposition que nous proposons veut y donner une réponse, digne de la peinture qu’elle défend. Ainsi, notre objectif sera de replacer la peinture monochrome de Charchoune à la fois dans l’histoire du genre que dans l’œuvre de l’artiste lui-même.
Depuis ses origines, jusqu’aux recherches plus récents des avant-gardes américaines (Barnett Newmann, Mark Rothko, Agnès, Martin, Robert Ryman, Ad Reinhardt…) et européennes (Yves Klein, Groupe Zéro, Piero Manzoni, Lucio Fontana, Roman Opalka…) d’après-guerre, le monochrome était un procédé artistique allant au-delà de la simple remise en cause des manières traditionnelles d’envisager la création. Le Carré noir, exposé lors de la fameuse « dernière exposition futuriste 0.10 » est accroché en hauteur, à l’angle de deux murs, à place traditionnellement réservée aux icônes dans les maisons russes, ce qui passe aux yeux du public pour blasphématoire. Le Carré noir n’est pas simplement une proposition radicale dans un contexte social et artistique révolutionnaire. Il est une icône quasiment religieuse. De la même manière qu’il en sera un peu plus tard pour Wladyslaw Strzeminski, le monochrome n’est pas un degré zéro de la peinture, mais un rebond vers l’infini créatif : « J’ai troué l’abat-jour bleu des limitations colorées, je suis sorti dans le blanc, voguez à ma suite, camarades aviateurs, dans l’abîme, j’ai établi les sémaphores du Suprématisme. […] Voguez ! L’abîme libre blanc, l’infini sont devant vous », écrivait Malévich dans le catalogue de l’exposition Création non-figurative et suprématisme (1919).
Charchoune commence son aventure avec le monochrome autour de 1923 quand, après sa période berlinoise, il retourne à Paris et s’intéresse aux idées de Rudolf Steiner, explorant les méandres de l’anthroposophie qui lui donne un nouvel élan créateur. Ses œuvres tendent désormais à l’épure. Il trouvera la confirmation de ses recherches quelques années plus tard se confrontant d’abord aux œuvres (1925) et ensuite au personnage même (1927) du théoricien du purisme, Amédée Ozenfant. Cette rencontre qui constitue pour lui une vraie révolution intellectuelle qui marquera toute son activité à venir. La période puriste des années 1926-29, peut être considérée comme la plus aboutie dans le parcours du peintre, exprimant le mieux sa personnalité et sa vision de l’art.
Jusqu’à la fin de sa carrière Charchoune, jamais satisfait, changera de style maintes fois encore, mais le monochrome deviendra comme un fil rouge, un thème dans la musique, qui disparaît et revient, est l’objet de variations, repris, modifié, opposé ou… superposé, mais ne se perd jamais. C’est la période puriste que l’on doit approfondir pour accéder à l’essence de l’œuvre de Charchoune. Ce que cette exposition se donne justement pour objectif…
ARTICLES DE PRESSE
« Une « saison russe » à Saint-Germain », Journal des Arts, du 21 septembre au 4 octobre 2018
« Loeuvre du mois », Connaissance des Arts, octobre 2018